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L'OBLIGATION D'INFORMATION DU MÉDECIN : ÉTAT DE DROIT

Jusqu'à quel point et comment le médecin doit-il informer son patient ?
La Cour de cassation et le Conseil d'État ont rendu ces dernières années, et particulièrement en 2000, des arrêts qui précisent les contours de l'obligation d'information du médecin à l'égard de son patient.L'analyse de cette jurisprudence permet de tracer la conduite à tenir pour prévenir un litige relatif à l'information médicale, tant à l'hôpital qu'en ville, même si quelques imprécisions subsistent encore.L'on verra par ailleurs que s'il existe une demande sans cesse croissante d'information, et si l'obligation du médecin paraît s'être sensiblement alourdie, le préjudice réparable ne consiste qu'en la perte d'une chance, bien difficile à établir par le patient.


I.
  LE CONTENU DE L'OBLIGATION

A. L'ETENDUE DE CETTE OBLIGATION

· Fondements juridiques

Le consentement préalable à l'acte médical est imposé par l'article 36 du Code de déontologie médicale qui dispose que :

" Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille,
" une information claire, loyale et appropriée sur son état, les investigations et les
" soins qu'il lui propose … "

De plus, depuis la Loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, l'article 16-3 al. 2 du Code civil dispose :

" Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où
" son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à
" même de consentir ".

L'exigence du consentement du patient a pour corollaire l'obligation d'information préalable du patient, nécessité qui a été affirmée également dans des déclarations internationales (déclaration d'Helsinki, 1964 et déclaration de Tokyo, 1975) et consacrée par des textes récents adoptés dans des domaines spécifiques (par exemple, la recherche bio-médicale ou la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux).

· Auteur(s) de l'information

Sont tenus de l'obligation d'informer le médecin-traitant, mais également le chirurgien ; plusieurs médecins peuvent être tenus solidairement de cette obligation, lorsqu'ils ont tous participé à la décision opératoire.

La responsabilité du médecin-radiologiste peut également être mise en cause.

Dans certains cas, le médecin peut même déléguer son obligation à un membre du personnel para-médical, si l'acte prescrit est réalisé par ce dernier sous son contrôle, et relève de sa compétence.

· Objet de l'information

L'information doit porter sur le diagnostic (le résultat des examens cliniques doit notamment être transmis) ; elle doit comporter la présentation de l'acte projeté, et ce, de façon compréhensible pour le patient.

De plus, cette information doit porter sur les risques inhérents à l'acte médical ; elle a récemment été étendue aux risques graves, même exceptionnels (voir ci-après), ce qui constitue un alourdissement sensible de l'obligation du médecin.

Enfin, le patient doit être informé de façon exhaustive des risques courus du fait de l'affection dont il souffre ainsi que des suites possibles de l'intervention ou du traitement (ce qui inclut les effets indésirables d'un médicament prescrit), pour qu'il puisse mettre tout en œuvre pour éviter les risques résiduels (Cass. 1ère Civ. 9 mai 1983 et Cass. 1ère Civ. 20 janvier 1987).

· Dernier état de la jurisprudence

La médecine en ville (cabinet et clinique) :

Il était acquis depuis de nombreuses années que, hors le cas des opérations de chirurgie esthétique dont tous les risques doivent être révélés (Cass. 1ère Civ. 17 novembre 1969, Bull. Civ. I n° 347 - 8 janvier 1981 JCP 1981 - Edition E II 19699), les médecins n'étaient tenus de porter à la connaissance de leur patient que les risques normalement prévisibles, et non pas exceptionnels, présentés par un traitement ou une intervention à but thérapeutique (par exemple, Cass. 1ère Civ. 3 Janvier 1991, Bull. Civ. I n° 5).

Mais par deux arrêts rendus le 7 octobre 1998, la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence et a considéré qu'un médecin est tenu de donner au patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés, même si lesdits risques ne se réalisent qu'exceptionnellement (Cass. 1ère Civ., 7 oct. 1998, JCP G 1998 II 10179).

Trois limites sont heureusement apportées à ce principe : l'urgence, l'impossibilité et le refus du patient (voir B. ci-après).

Cette obligation d'information subsiste même si l'intervention est médicalement nécessaire (Cass. 1ère Civ. 18 juill. 2000 n° 1321 F - P n° 99 - 10.886, Gaz. Pal, 26/27 juill. obs J. Guigne) (voir ci-après 2 B).


La médecine à l'hôpital


Les jurisprudences civile et administrative sont à présent harmonisées, depuis deux arrêts rendus le 5 janvier 2000 par le Conseil d'Etat (CE 5 janvier 2000 A.P.H.P. N° 198530 et Consorts Telle n° 181 899), qui a adopté en matière d'information du patient dans les hôpitaux une position presque similaire à celle des juridictions civiles.

Seule une légère différence subsiste quant aux risques devant être révélés : si la Cour de cassation estime que tous les risques graves doivent être révélés, le Conseil d'Etat évoque " les risques connus de décès ou d'invalidité ", formulation qui permet d'éviter toute ambiguïté sur la gravité du risque devant être révélé.

Les trois limites retenues par la Cour de cassation (urgence, impossibilité et refus du patient) sont également retenues par le Conseil d'Etat qui a précisé que la réalisation exceptionnelle d'un risque ne dispense pas les praticiens de leur obligation d'information.

(Il s'agissait en l'espèce d'un patient devenu paraplégique à la suite d'une intervention endovasculaire, risque qui était connu, bien qu'exceptionnel).


Ces deux décisions ont confirmé la solution adoptée le 9 juin 1998 par la Cour administrative d'appel (CAA Paris 9 juin 1998), et ont donc adopté la position récente de la Cour de cassation sur l'information due par les praticiens libéraux.

Les patients hospitalisés disposent donc à présent du même droit à être informés que ceux qui sont pris en charge par des médecins libéraux.

· Recommandations de l'ANAES

L'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) a tenu compte des enseignements dégagés par ces arrêts et élaboré des recommandations destinées à aider le médecin dans la manière de dispenser à chaque patient une information pertinente et de qualité.

Il y est précisé que l'information doit être hiérarchisée et reposer sur des données validées ; elle doit également présenter les bénéfices attendus des soins envisagés, avant leurs inconvénients et risques éventuels, et préciser les risques graves, y compris exceptionnels, c'est-à-dire ceux qui mettent en jeu le pronostic vital ou altèrent une fonction vitale.

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B. LIMITES DE L'OBLIGATION D'INFORMATION

Si le patient doit être informé des risques graves, même exceptionnels, il n'a pas à l'être des risques bénins (à l'exception, déjà citée, des interventions de chirurgie esthétique), ou même imprévisibles.

En l'état actuel du droit, le médecin ne paraît pas non plus tenu d'informer les malades de l'existence d'autres alternatives thérapeutiques.

De même, le médecin " n'est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l'acte médical qu'il demande " (Cass. 1ère Civ. 18 janv. 2000 n° 97-17.776 n° 72 P).

Tant la jurisprudence civile que la jurisprudence administrative ont apporté trois autres limites à l'obligation d'information du médecin :

· l'urgence,
· l'impossibilité
· le refus du patient d'être informé.
· L'urgence

Cette dérogation est consacrée par l'article 16-3 nouveau du Code civil (voir ci-dessus 1 A).

En cas d'urgence, le médecin qui s'est abstenu d'informer son patient est donc déchargé de toute responsabilité de ce chef.

Cette notion a été définie comme " une nécessité absolue de procéder à une intervention immédiate ou de prévenir un danger immédiat pour le patient " (Cass. 1ère Civ. 29 mai 1984 D 1985 IR page 368).

Plus récemment, il a été jugé que le médecin peut passer outre au refus de soins lorsqu'il y a urgence et que le pronostic vital est en jeu, en l'absence de solution alternative (il s'agissait d'une transfusion sanguine), dès lors que les actes sont indispensables à la survie du patient et proportionnés à son état (CAA Paris, 9 juin 1998).

· L'impossibilité ou l'imprévisibilité

Cette notion renvoie soit à l'imprévisibilité des risques qui ne peuvent donc pas être anticipés, soit à l'impossibilité pour le médecin d'en informer son patient.

Cette limite résulte de l'article 35 alinéa 2 du Code de déontologie médicale, aux termes duquel le praticien peut taire au patient ce qu'il sait lorsque la révélation est contraire à l'intérêt de celui-ci.

La Cour de cassation a tenté de définir ce que peuvent être ces raisons légitimes et comment doit se comprendre l'intérêt du patient, dans un arrêt rendu le 23 mai 2000 (Cass. 1ère Civ. 23 mai 2000 n° 98-18.513 n° 905 FS-P).

Dans cette espèce, le médecin-psychiatre n'avait informé que tardivement son patient de ce qu'il était traité pour une psychose maniaco-dépressive et l'avait, selon ce dernier, privé de la possibilité de former une demande pour obtenir une pension d'invalidité.

La Cour a estimé que le médecin n'avait pas engagé sa responsabilité compte tenu de l'angoisse qu'aurait provoquée chez le patient la révélation de son état.

· Le refus du patient d'être informé

L'arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2000 (déjà cité) a précisé cette notion.

Pour la Cour de cassation, " un médecin n'est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l'acte médical qu'il demande ".

Le patient demeure seul responsable des décisions qu'il prend à l'égard du traitement proposé ou de la technique d'intervention ; le médecin doit seulement tenter de le convaincre.

(En l'espèce, la patiente, qui devait subir une opération de la cataracte, avait refusé l'anesthésie générale que lui proposait le praticien et préféré une anesthésie locale, laquelle avait entraîné l'apparition d'un chémosis hémorragique qui avait provoqué la rupture du globe oculaire).

La jurisprudence à venir de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat permettra sans doute de mieux préciser les limites de l'information et les critères d'admission de ces trois dérogations.

L'on peut par exemple se demander s'il ne sera pas exigé du médecin, en cas de refus du patient d'être informé, de donner une information sur les risques consécutifs à ce refus.

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II.  REGIME DE L'OBLIGATION D'INFORMATION

A. LES MODALITES DE L'INFORMATION

Qui doit prouver la réalité de l'information prodiguée ?

Depuis plus de 40 ans, le défaut ou l'insuffisance d'information devait être prouvé(e) par le patient, ce qui posait pour celui-ci des difficultés de preuve évidentes.

Pour y remédier, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant que le médecin, tenu d'une obligation particulière d'information vis-à-vis de son patient, est tenu de prouver qu'il a exécuté cette obligation. (Cass. 1ère civ. 25 fév. 1997 Gaz. Pal. 27/29 avril 1997 rapp. Sargos).

Comment prouver que l'information a été donnée ?

Sans doute pour atténuer la portée du renversement de la charge de la preuve institué par l'arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 14 octobre 1997, a considéré que l'information pouvait être prouvée par tous moyens (Cass. 1ère Civ., 14 oct. 1997 n° 1564 P, JCP éd. G 1997 II n° 22942).

En pratique, les Juges tiennent compte de simples indices, d'un ensemble de présomptions et de témoignages possibles (Cass. 1ère Civ. 1ère, 14 oct. 1997 déjà cité), des circonstances dans lesquelles l'acte médical a été exécuté (si le patient a bénéficié d'un délai de réflexion ou s'il a consulté un autre médecin, par exemple), de l'attitude de la victime ou de sa famille avant l'intervention (Cass. 1ère Civ., 14 oct. 1997 Gaz. Pal. 21/23 déc. 1997 page 312), voire même d'un écrit adressé par le médecin à l'un de ses confrères.

Le Conseil d'Etat a dégagé des principes similaires dans ses arrêts du 5 janvier 2000.

Dans ses recommandations, l'ANAES a précisé les modalités de l'information en considérant que l'information orale est primordiale car elle peut être adaptée au cas de chaque personne.

L'information écrite constitue donc seulement un complément possible de l'information orale.

Le document rappelle que l'écrit a pour seule fonction de donner des renseignements, et qu'il n'a donc pas à être assorti d'une formule obligeant le patient à le signer.

L'ANAES souhaite ainsi éviter la remise par le médecin de documents préétablis, mal ressentis et peu susceptibles d'éclairer véritablement le patient.

En pratique, la remise d'un document écrit, personnalisé, semble difficilement évitable, particulièrement lorsque le diagnostic est incertain ou que les risques associés au choix thérapeutique sont significatifs.

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B. SANCTION DU DEFAUT D'INFORMATION

· Le préjudice doit être démontré

Pour que le défaut d'information soit susceptible de donner lieu à une indemnisation, encore faut-il que le préjudice soit certain et démontré.

Or le risque présenté par une intervention chirurgicale doit être placé en regard du bénéfice à en attendre.

C'est ainsi que, dans un arrêt du 7 octobre 1998, la Cour de cassation a jugé que, dès lors que le bienfait escompté est supérieur à l'inconvénient résultant du risque, le patient ne peut, faute de préjudice, demander réparation au chirurgien qui ne lui avait pas signalé le risque. (Cass. 1ère civ. 7 oct. 1998 n° 1568 R c/ M et a, JCP II 10179, rapp. Sargos).

(il s'agissait d'un patient souffrant d'une sévère gonarthrose évolutive d'un genou dont il avait été opéré, sans être toutefois informé d'un risque de syndrome de loge, qui s'est réalisé ; la Cour de cassation a conclu à l'absence de préjudice, les troubles auditifs dont se plaignait le patient étant moindres que ceux découlant de la non-réalisation de l'opération chirurgicale).

La Cour d'appel d'Angers a adopté une position plus radicale en considérant que lorsque l'intervention est inéluctable pour la santé ou la vie du patient, celui-ci ne peut invoquer un préjudice issu du défaut d'information (C.A. Angers 11 sept. 1998, n° 546 aff. Hedreul D. 1999 P. 46 note Penneau).

(Monsieur Hedreul, victime d'une perforation intestinale lors d'une coloscopie avec ablation d'un polype, reprochait à son chirurgien de ne pas l'avoir prévenu de la survenance possible de cet accident).

Sur pourvoi, la Cour de cassation a jugé que le défaut d'information doit, pour engager la responsabilité du médecin, avoir eu une incidence sur le consentement du patient ; ce dernier doit donc établir - ce qui n'était pas le cas en l'espèce - que s'il avait été dûment informé, il aurait fait un choix différent. (Cass. 1ère civ. 20 juin 2000, n° 98-23.046, n° 1157 FS-P)

Une telle preuve étant difficile à rapporter, la même chambre énonce, dans une décision du 18 juillet 2000, que le seul fait que l'intervention soit médicalement nécessaire ne dispense pas le médecin de son obligation d'information. (Cass. 1ère civ. , 18 juillet 2000 n° 99-10.886, n° 1321 F-P)

· Comment s'évalue le préjudice ?

Lorsque le risque s'est réalisé sans que le médecin ait commis d'autre faute que de ne pas signaler les risques, les Tribunaux ont fait application de la théorie de la perte de chance pour évaluer le préjudice.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que le défaut d'information avait fait perdre au patient une chance d'échapper à une atteinte à son intégrité physique, ce qui lui ouvrait droit à réparation. (Cass. 1ère civ. 29 juin 1999 JCP 1999 II 10138 rapp. Sargos)

Dans l'arrêt précité du 5 janvier 2000, le Conseil d'Etat a indiqué la méthode à suivre pour évaluer le montant dû au titre de la perte de chance : évaluer le montant total du dommage subi, puis déterminer une fraction de ce dommage en fonction de la probabilité que le patient aurait eue de refuser l'intervention s'il avait été informé des risques.

Le recours à la notion de perte de chance a été critiqué, " la chance étant un élément objectif totalement étranger à la volonté libre de la victime ". (F. Chabas - L'obligation médicale d'information en danger, JCP 2000, I 212, n°15 et suivants)

L'on peut penser, en effet, qu'un tel raisonnement, s'il est séduisant " garde un côté divinatoire, souvent a posteriori et peut toujours faire l'objet de critiques ". (Dict. permanent bioéthique, bull. 91 p. 7748)


CONCLUSION


L'obligation d'information qui pèse sur les médecins et les chirurgiens de signaler les risques graves même exceptionnels est très lourde, risque d'effrayer les patients et de détériorer la relation médecin/patient.

Notre pronostic est le suivant :

· dans un premier temps, les décisions commentées ci-dessus provoqueront une augmentation du nombre des actions en responsabilité intentées contre les médecins ;

· dans un second temps,les patients ayant souvent échoué à caractériser et à chiffrer la perte de chance, les actions fondées sur le seul défaut d'information se raréfieront ; mais la preuve du défaut d'information viendra au soutien des actions engagées pour faute médicale ou opératoire.

Enfin, il faut rappeler qu'en matière de médicaments, l'information sur les effets indésirables pèse aussi sur les fabricants, et que le débat sur les contenus respectifs de la notice de boîte et du RCP n'est pas clos.


Aline CELEYRETTE Avocat associé


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